Matthieu LANGLOIS* a écrit ce texte totalement en phase avec ce que nous vivons aujourd’hui. La crise COVID, mais aussi la radicalisation et la montée des séparatismes qui avancent de moins en moins masqué nous mettent face à des attitudes d’évitement, voire de déni de la part de certains. C’est le type de réponse que certains apportent à celui qui à peur de l’avion : « n’y penses pas!« . Comme si l’absence de pensée était le meilleur moyen de se protéger.

Nous avons abordé avec vous notre principe des 3 cercles (defusing-debriefing-retex). Ce texte est pour vous avec l’aimable autorisation de notre collègue.

*Médecin urgentiste et ancien sapeur-pompier, il connait la violence de l’intérieur (Son livre). Il a eu l’amitié d’accepter d’écrire la préface de notre livre qui est un fascicule permettant d’aider les secouristes à faire face aux trop nombreuses agressions en intervention « Sapeur-pompier, un métier à rixe? ».

 

1 – AVANT LA CRISE, SE PREPARER

Intégrer qu’on vit sur un volcan

Pour la plupart des organisations, la crise reste taboue. Au mieux, elles croient en une chimère – le risque 0 ou au pire, que les menaces ne les concernent pas et elles les ignorent. « Il est plus prudent d’intégrer que le risque qu’on peut prévoir est certain (oui, il y a toujours eu des pandémies, et la prochaine viendra) et que ce qui est incertain, qu’on ne peut pas imaginer, n’est pas improbable. » Mieux vaut dans la foulée ne pas s’accrocher à trop de certitudes. « Vivre en déni des risques, c’est surtout risquer d’être incapable d’agir quand ils se présenteront. »

Admettre que le problème pourrait venir de nous

Certes, il y a les grands événements qui viennent de l’extérieur et sur lesquels on a peu de prise. Mais, dans les faits, la plupart des accidents ou des drames viennent de négligences humaines. Autrement dit, vous ou moi, sommes souvent à l’origine du problème… et c’est important d’en avoir conscience. « Beaucoup de corrections peuvent être apportées en travaillant sur le seul facteur humain. Cela couvre déjà une grande part des catastrophes. »

S’entraîner

Simuler la crise avant qu’elle ne se déclare, c’est ce que font les pilotes quand ils s’entraînent dans des simulateurs de vol. Depuis les attentats, les hôpitaux utilisent aussi ce type de techniques avec leurs équipes. « Tout est prévu pour que les scénarii changent tout le temps. Le but est de créer de l’incertitude, et que les participants échouent, se trompent n’est pas un problème. Il s’agit d’entraîner leur agilité à prendre des décisions. Il faut maintenir une sorte d’appétence à l’acceptation des risques. C’est une culture qui s’avère être vraiment nécessaire en cas de drame. »

Planifier

Quand la crise se déclare, c’est brutal, on perd momentanément une partie de ses capacités, les process explosent et les périmètres de chacun doivent être revus. Aussi, mieux vaut avoir prévu quelques mesures en amont. Avoir les réserves de matériels, bien sûr, mais aussi avoir mené une réflexion sur des modalités spécifiques d’organisation. « Dans les structures hospitalières, depuis les attentats, le profil du directeur médical de crise a été créé. Il a une double culture : médicale et de gestion de crise. Il peut prendre la main dès qu’elle se déclare. » . Planifier le hors cadre ne veut pas dire écrire des dictionnaires de « plans ».

Travailler les émotions

La maitrise des gestes techniques est indispensable mais elle va de pair avec la gestion des émotions. « Il faut les travailler, seuls et à plusieurs. D’apprendre à être vrai, vis-à-vis de soi comme vis-à-vis du groupe. Il faut savoir dire « j’ai eu peur » ou « je me suis trompé », car dans la réalité, aucune procédure ne peut protéger de la panique et de l’erreur humaine. » Or, dans le hors cadre, c’est sur la cohésion de groupe que repose la confiance et la capacité à rebondir. « C’est la seule chose qui compte : la qualité des leaders et la confiance de l’équipe. Quand tout devient compliqué, il n’y a que ça qui fait avancer. »

 

2 – PENDANT LA CRISE, S’ADAPTER

Partir d’une feuille blanche

Quand la crise se déclare, et quel que soit son niveau de préparation, il est plus prudent de partir d’une feuille blanche pour tenter de comprendre la situation : qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce qui est différent, qu’est ce que je ne comprends pas ? En quoi sommes-nous hors cadre ?… « Il faut de l’humilité. Si vous arrivez en disant je sais faire, j’ai un plan, et je l’impose… ça ne marche pas. » Cette page blanche est aussi un bon moyen de ne pas se précipiter dans l’effet tunnel. Chercher à prendre de la hauteur en transformant le temps d’agitation collective en temps calme, c’est un défi qui sera payant à terme.

Favoriser l’agilité

La préparation ne consiste pas à considérer que toutes les réponses se trouvent dans la check-list. « Imaginer les procédures de cette manière, et il ne se passera rien. Il faut être agile, individuellement et collectivement. Ce sont souvent des innovations – techniques, organisationnelles ou humaines – qui s’avéreront indispensables. »

Faire équipe

Le rôle du chef est de créer, de faire émerger des leaders et de libérer l’innovation de ses équipes. On ne gère jamais une crise seule. Non seulement il faut envisager de le faire en équipe mais il faut aussi constituer un système très ouvert en créant des passerelles avec l’extérieur, soit en amont, soit en aval. « Les vrais bons services de pilotage de crise sont ceux qui sont capables de fédérer largement, d’entrainer avec eux en jouant sur la confiance, j’en suis convaincu. »

 

3 – APRÈS LA CRISE, S’AMELIORER

Faire un retour d’expérience

Le RETEX, ou REX, s’appuie sur un protocole scientifique et un référentiel des expériences vécues. Il fait le lien entre la théorie et la pratique. Il s’agit de faire le point post-crise pour chacune des décisions. Mesurer leurs coûts, leurs conséquences… « Il faut aller voir tout le monde du bas vers le haut, et pas seulement les patrons qui vont toujours raconter ce qui s’est bien passé. Les anglo-saxons font volontiers appel à des chercheurs extérieurs pour mener ce travail. Et c’est certainement la meilleure méthode. »

Franchise et humilité

Pour faire le point, la seule et unique règle devrait être de regarder le bilan en face, de la manière la plus honnête possible. « C’est un exercice qui provoque souvent des guerres d’ego, des compétitions. Mettre en évidence des difficultés, des manquements des erreurs est toujours difficile. Or, il faut être franc. »

Ne pas chercher à punir, ne chercher qu’à améliorer

La critique doit être positive. Cette franchise ne devrait pas provoquer de « sanction » afin que tout le monde soit assez en confiance pour poser tous les éléments (organisationnels, techniques et humains) sur la table. « Si on commence à mentir, à chercher les honneurs, courir après les budgets… c’est fini. On ne tirera aucun bénéfice des enseignements de la crise. Au départ, tout le monde est d’accord pour se prêter à l’exercice, mais dans la réalité c’est exigeant. Et pourtant, c’est indispensable. »

 

L’ADN – Antifragile – Juin 2020 – Août 2020

Merci à Béatrice SUTTER pour cet article.